S A I N T - A N T O I N E

     Dans l'église de REBECQUES,  Saint ANTOINE trône au-dessus de l'autel latéral droit et il est bien évident qu'il n'a rien de commun avec son homologue, Saint Antoine, de Padoue celui-là, à qui les sculpteurs ont donné les traits juvéniles du petit moine franciscain d'origine portugaise qui, dans son couvent italien, recevait les visites de L'Enfant Jésus. En règle générale, celui-ci a droit à une stèle ordinaire dans laquelle on place le tronc destiné à recevoir les offrandes des étourdis qui ont dû avoir recours à son intercession pour retrouver quelque objet perdu. L'autre Saint Antoine qu'on honore ici et qu'on dénomme fréquemment " le grand Saint Antoine ", est un homme d'âge mûr qui, au IVè siècle décida de se retirer dans le désert égyptien pour y vivre en ermite afin d'assurer son salut éternel, décision qui lui valut d'être l'objet de tentations effroyables auxquelles il sut résister. (A moins que ce ne soient, justement, ces mêmes tentations, offertes par le monde, qui l'aient incité à rechercher la solitude et l'ascèse qui sont les meilleurs remèdes pour lutter contre Satan, ses pompes et ses œuvres...) Quoi qu'il en soit, c'est ainsi qu'il devint un grand Saint et, par la même occasion le modèle cher à de nombreux peintres inspirés par ses tribulations.

     C'est ce dernier point qui m'a inspiré une réflexion et conduite à faire une recherche: Pourquoi représente t’on notre Saint Antoine flanqué d'un cochon ? .... J'ai longtemps cru que c'était le fait des tentations qui avaient peut-être pour but de réveiller le cochon qui, dit-on, sommeille en tout homme. Pour en avoir le cœur net, j'ai mis à contribution un historien chevronné qui a accepté d'éclairer ma lanterne et j'ai pensé que, vous, gens de Rebecques, vous seriez aussi heureux de connaître un peu mieux ce grand Saint et son culte.

     Vers 1080, un petit village du Dauphiné qui allait s'appeler SAINT ANTOINE DE VIENNOIS, devint dépositaire, de reliques du Saint, grâce à son Seigneur local, qui revenait de Constantinople. Un pèlerinage attira bientôt des foules qui venaient invoquer le Saint contre ce qu'on appelait le " Mal des Ardents " ou " feu de Saint Antoine ", qui se caractérisait par une inflammation due à la farine de seigle avariée par un champignon que nous connaissons maintenant sous l'appellation d'ergot de seigle. Le nombre des malades amena à la fondation, au XIIè siècle, d'un hôpital, puis d'un Ordre de Chanoines réguliers qui essaima dans toute l'Europe où il ne fonda pas moins de 370 hôpitaux, dont un, important, à Bailleul. Il est probable qu'à cette époque, les moines venaient quêter jusque dans notre région et, plus précisément à Rebecques.

     Comme c'était d'usage à l'époque, l'Ordre se devait de fournir à ses hôpitaux tout ce qui était nécessaire à leur fonctionnement, y compris et surtout, la nourriture. Dans la mesure du possible, on y pourvoyait sur place en envoyant les Frères quêter dans les châteaux, villes et villages. Ces moines, en raison probablement du rôle qu'ils jouaient dans la vie publique où ils étaient pratiquement les seuls à soigner, soulager et, quelquefois guérir, et de la nécessité où ils se trouvaient de nourrir leurs pensionnaires, jouissaient de privilèges accordés par les seigneurs, les bourgeois et même les plus pauvres. Parmi ces privilèges, et non le moindre, on relève le droit de se faire escorter d'un cochon. Pourquoi, direz-vous, était-ce un privilège ? ... Tout simplement parce que le porcelet était, pour le fidèle, le moyen le plus simple et le meilleur marché de s'acquitter d'un don ou d'une offrande. Ensuite, on attachait une clochette autour du cou de la bête pour la retrouver facilement et on pouvait la laisser courir en liberté. Bien entendu, le porcelet se glissait partout où traînaient des restes de nourriture et des immondices variés dont il s'engraissait à peu de frais. Or, parmi les rares aliments qui pouvaient, alors, supporter le transport et se conserver quelque temps, en dehors des céréales et de certains fromages, il n'y avait guère que la viande fumée ou salée, d'où l'intérêt du cochon pour remplir séchoirs et saloirs.

     Dès les années 1200, il n'y avait en Occident "ni ville, ni château où les cochons de Saint Antoine ne se soient répandus " (Bible Historiale de Guiot de Provins). Le cochon était, en quelque sorte, la "marque de fabrique " des Antonins (nom des religieux de l'Ordre) et la propriété exclusive de ce privilège était l'enjeu de luttes acharnées. Au Xème siècle les seuls produits que livraient les maisons des Antonins au Grand Hôpital de Saint Antoine, à côté du vin, consistaient en viande de porcs, porcs qui étaient d'ailleurs marqués du "tau " signe distinctif de l'Ordre.

     Cet emblème en forme de béquille, le cochon, dûment "clariné " (c'est-à-dire pourvu d'une clochette avertissant de la quête) et le feu symbolisant le mal des Ardents devinrent les signes distinctifs de l'Ordre et chez les artistes, les attributs de Saint Antoine Ermite.

     Pendant de longs siècles, on continua d'invoquer Saint Antoine contre un mal que la médecine n'avait pas encore identifié. Le lard du cochon qu'on avait nourri également de pain frotté contre la statue du Saint, était censé guérir de la maladie et, si cela prête à sourire aujourd'hui, on peut aussi penser "pourquoi pas " après tout. La recherche médicale nous a réservé tant de surprises que nous n'en serions pas à une près......

     Ces considérations, bien terre-à-terre, ne nous feront pas oublier que la vénération de Saint Antoine, a été portée à un très haut degré, soutenue et influencée par l'Ordre qui porte son nom et qui semble aujourd'hui avoir disparu. Mais elles nous aident à comprendre pourquoi l'église de Rebecques, dédiée à Saint Maclou (dont je vous parlerai l'an prochain) honore depuis des siècles, Saint Antoine Ermite.

     - L'origine de ce culte remonte probablement au passage des Moines Antonins de l’hospice de Bailleul qui venaient quêter régulièrement dans les villages.

     - Rebecques, village essentiellement agricole, se trouvait, comme ailleurs, en proie aux épidémies qui décimaient régulièrement le bétail et appauvrissaient un peu plus des populations dont le niveau de vie était déjà bien précaire. D'où le recours à l'intervention du Saint pour protéger bêtes et gens.

     - De là date sûrement l'origine de la distribution des petits pains qui existe encore de nos jours nous l'avons vu, les Moines nourrissaient leurs cochons de pain frotté contre la statue du Saint pour les préserver du mal; ils ont donc incité les fidèles à les imiter et, au long des siècles, ce pain a conservé son pouvoir. Les fermiers, il n’y a pas si longtemps, le distribuaient généreusement à tous les animaux de la ferme et les humains, eux aussi, mangeaient dévotieusement leur " petit pain de saint Antoine ".

     

La neuvaine de Saint Antoine rassemble chaque année, en janvier, la population de Rebecques, fière- à juste titre, de ses souvenirs et de ses traditions.  Mais comment ne pas associer l'histoire de notre village à celle d'autres saints dont le nom nous est familier et sur lesquels on se pose parfois des questions car leurs patronymes démodés, tout comme leur légende, semblent se perdre dans la nuit des temps en ce début de vingt et unième siècle.

Si nous interrogeons les archives locales, nous savons que, bien avant la Révolution, la Paroisse de REBECQUES répondait à l'appellation de « Paroisse Saint Maclou » ce que nous authentifient les registres de catholicité.  Ce fait, et la découverte, il y a une vingtaine d'années, d'un reliquaire de Saint Maclou au fin fond d'une armoire de la sacristie, reliquaire qu'on peut admirer au Musée diocésain d'Arras, attestent du culte rendu à ce saint à Rebecques depuis l'époque moyenâgeuse.